Christiane Rochefort, féministe et libre !

Françoise de la librairie Vigna à Nice a accepté notre invitation à nous faire partager les coups de cœur de la librairie. Et pour cette rentrée, elle a eu envie de nous parler de Christiane Rochefort, écrivaine féministe, écologiste et une femme libre.

Christiane Rochefort a trouvé son public dans les années 60/70, maniant un humour féroce, dans un style familier. Puis, elle a été presque oubliée. Sans doute parce qu’elle était terriblement de son époque. Et si c’était le moment de la (re)découvrir ?

Née en 1917, Christiane Rochefort a connu la vie de bohème (Montparnasse et ses artistes), l’après-guerre dans les caves de Saint-Germain, (elle fréquente le Tabou, La Coupole, L’Écluse…). Dans les années 50, elle est sculptrice, attachée de presse pour le tout nouveau festival de Cannes, secrétaire, traductrice… avant de publier ses premiers textes. Elle connaît un succès de scandale avec « Le repos du guerrier » en 1958. On y suit une jeune femme bourgeoise qui rompt avec son époux et son milieu pour vivre une intense liaison sexuelle avec un homme alcoolique et violent. Le livre est jugé pornographique par certains critiques, et sa sulfureuse notoriété s’accroît encore après l’adaptation cinématographique qu’en donne Roger Vadim en 1962, avec Brigitte Bardot en tête d’affiche. « Le Repos du guerrier », c’est la tragi-comédie d’une femme passive. Rochefort n’est pas tendre avec ses personnages, elle éclaire leurs gouffres intimes sans rien excuser, ni l’addiction de son personnage masculin, ni l’aliénation de son personnage féminin. « Je n’aime pas les femmes qui ne résistent pas …quand je vois des signes de résistance, je suis très contente… j’aime la littérature de révolte. » dira-t-elle plus tard. En 1958, elle est déjà féministe.

En 1963 sort « Les Stances à Sophie » qui raconte la rencontre entre Céline, une jeune femme libre, et Philippe, un cadre bourgeois. Dans le mariage, Céline s’étiole, puis elle se reprend, se rebelle et se retrouve. Au passage, elle couche avec une amie, sans jamais toutefois se dire lesbienne : «­ Moi non plus j’aime pas les femmes. Alors qu’est-ce que j’ai avec toi que les hommes n’ont pas ? -Des loisirs.»  

Christiane Rochefort aussi a quelques aventures homosexuelles, qu’elle nomme « des rencontres d’opprimées ». Comme ses personnages, elle non plus ne se revendiquera jamais lesbienne. Elle en connaîtra beaucoup, cependant, au sein du mouvement féministe qu’elle rejoint dès la première heure.  

Elle fera partie du petit groupe de femmes (avec Monique Wittig, Christine Delphy, Cathy Bernheim etc) qui, le 26 Août 1970, apporte une gerbe de fleurs à l’Arc de Triomphe pour célébrer « celle qui est encore plus inconnue que le soldat inconnu, sa femme ».

En 1971, elle rédige la préface pour l’édition française du « SCUM Manifesto » de Valérie Solanas, qu’elle intitule « Définition de l’opprimé ». La même année, elle signe le Manifeste des 343 pour défendre le droit à l’avortement.

Dès le milieu des années 70, elle s’engagera aussi pour l’écologie.

En 1988 « La Porte du fond » obtient le Prix Médicis, formidable livre qui décrit l’emprise d’un père incestueux sur sa fille. Et qui se voulait une réplique cinglante à ceux qui parlaient de « séduction ».

Malgré le caractère autobiographique de l’inceste, Rochefort intente (et gagne) un procès à France Loisirs qui en avait fait un argument publicitaire. Pas de plus bel acte de foi dans le roman : il transcende tout, l’auteur, sa personne, son sexe et son expérience. Le «je» romanesque de Christiane Rochefort est toujours un personnage. Chez Rochefort, ni pardon ni oubli. Son héroïne se réjouit que le destin lui ait finalement épargné le triste sort de Violette Nozières, elle qui pendant des années s’était demandé par quelle méthode « le » tuer et remâchait son impuissance. La force de ce livre n’est pas seulement de tracer les figures, désormais tristement familières, de l’emprise sexuelle exercée par un « adulte ayant autorité ». Elle réside surtout dans le portrait d’une survivante pour qui l’humour est la politesse grinçante du désespoir.

En écho à son expérience personnelle, Christiane Rochefort a très tôt pris fait et cause pour les enfants. « De tous les opprimés doués de parole, les enfants sont les plus muets » écrit-elle dans « Les enfants d’abord », un essai incisif et subversif paru en 1976. Elle y attaque les institutions et surtout les parents, qui confisquent la parole des enfants et les formatent aux besoins de l’ordre productif. Fidèle à son côté libertaire, elle réclame pour eux le droit à une vie privée et à une sexualité. Dans plusieurs romans – ses plus beaux peut-être –, Christiane Rochefort a mis en scène enfants et adolescents, revendiquant pour eux la liberté et la diversité. Ses jeunes personnages s’aiment sans peur ni culpabilité, qu’il s’agisse de rencontres homo ou hétérosexuelles. (Dès 1969, dans « Printemps au parking » Christophe, un adolescent de banlieue rencontre Thomas, un étudiant de 26 ans, et c’est le coup de foudre.)

Christiane Rochefort est morte en 1998 à La Garde, dans le Var où elle résidait.

En 2015, les Éditions iXe publient son « Journal pré-posthume possible ».

Elle y aborde la vieillesse avec, intact, « un certain état de fureur », condition de sa lucidité et de son ironie. Dans « Ma vie revue et corrigée par l’auteur », elle avait écrit « Ça ne m’intéresse pas de raconter ma vie, je la connais déjà ». Son journal ne lui sert pas tant à garder des traces des jours qui passent qu’à offrir des réflexions lapidaires et parfois désespérées sur l’état du monde, et des fragments émerveillés devant sa beauté. Des notes qui ont souvent la justesse émouvante ou cinglante du poème…

Françoise – Librairie Vigna 3 Rue Delille, 06000 Nice. Du mardi au samedi, tous les après-midi.